jeudi 16 mars 2017

Résumé de lecture : Ending Medical Reversal (2015)

Petit résumé de lecture pour les francophones intéressés à la médecine fondée sur les faits (evidence based medicine, EBM), du livre "Ending Medical Reversal", par Vinayak Prasad et Adam Cifu (publié en 2015) [1].


 En une phrase :  

Évaluer les pratiques médicales dans des études de qualité avant de les répandre dans les pratiques standard.

Messages clés :
  • Évaluer les interventions/médicaments/dépistage dans des essais contrôlés randomisés avant de mettre en pratique courante
  • Sans évaluer impossible de savoir là où on blesse les patients, là où on dépense de l'argent pour rien et là où on amène un bénéfice
  • Les critères de substitution, mécanismes d'action et la logique prédisent terriblement mal les résultats réels sur la santé
  • Une fois qu'on fait quelque chose c'est terriblement difficile à changer
  • La plupart des nouvelles interventions et traitements ont un bénéfice infime ou absent
  • Le corps humain et la réalité se fichent de ce qui semble "logique", les résultats restent imprévisibles, ce qui fonctionne à un endroit peut se planter à un autre
  • Tout changement mérite évaluation, pareil pour une nouvelle pratique
  • Les études observationnelles sont souvent contredites, indiquent difficilement la causalité
  • Éviter le plus possibles les conflits d'intérêts (financiers ou pas), chercheurs indépendants et externes
Résumé :

Bien trop souvent les pratiques médicales changent (difficile à estimer, trop de pratiques et rarement évaluées), les problèmes sont presque toujours les mêmes, on s'est fié à des mécanismes d'action ou à quelque chose qui semblait logique, pertinent, fiable. Rarement à des études, et si celles-ci ont été réalisées le focus était trop souvent sur des critères de substitution peu importants et peu prédictifs (cholestérol, tension artérielle, glycémie, taille des tumeurs, etc.) plutôt qu'autres résultats majeurs (décès, qualité de vie, temps de survie, infarctus, AVC, etc.). Surgénéralisation à partir d'essais sur des sites uniques ou sur peu de patients. 

Incapacité d'attendre les résultats, la plupart des personnes souhaitent de l'ICI ET MAINTENANT, au risque d'introduire des pratiques souvent inutiles et risquées (et de ne pas les évaluer pour le remarquer plus tard). Les précédentes expériences et l'histoire oriente plutôt vers une vision pessimiste : la plupart des traitements, dépistages et interventions ont en général un très faible effet ou pas du tout, ou n'offrent un bénéfice qu'à bien peu de monde.

Une fois la pratique répandue, personne ne croit possible qu'elle puisse être inefficace ou plus risquée que ne rien faire, les essais pour l'évaluer sont refusés, absence de financements, la pratique persiste des années, voire des décennies. Si personne ne confronte l'avis général, des erreurs peuvent persister indéfiniment. Lorsque l'histoire est écrite les réussites sont mises en avant mais pas les centaines d'essais infructueux qui finissent oubliés.

Les médecins apprennent beaucoup les mécanismes, la physiologie, la physiopathologie, et éventuellement parfois longtemps après comment chercher les preuves soutenant ou pas les effets des traitements et interventions et les critiquer. Bilan, ils se fient aux mécanismes qu'ils connaissent bien.

Le problème c'est que placer des stents pour déboucher des artères bloquées peut augmenter les risques d'AVC au lieu de le réduire. Réduire le cholestérol LDL ("mauvais") et augmenter le HDL ("bon") peut augmenter le nombre de problèmes cardiaques graves plutôt que les réduire. Réduire l'hémoglobine glyquée d'un diabétique peut augmenter la mortalité plutôt que la réduire. Augmenter l'apport de sang au cœur lorsque celui-ci en manque peut ne pas avoir le moindre effet comparé à une opération factice sans opération du cœur. Réduire la taille d'une tumeur n'améliore pas pour autant toujours la survie. Ralentir la progression d'un cancer n'augmente pas forcément la survie. Isoler des patients malades ne réduit pas forcément les transmissions. Réduire le temps d'attente n'améliore pas forcément la santé de ceux qui attendent moins. Etc. 

Attention au surdiagnostic, au traitement des anomalies qui ne le sont pas, des normalités qui arrivent à la limite des "normes" (au secours il a 3,1 de sulfonate-machin-truc et à partir de 3 c'est grave). Ces "normes" représentent-elles seulement les personnes normales moyennes? Donner un diagnostic c'est tout bénéfices pour les industries des médicaments/thérapies/interventions/plantes, mais donner l'impression qu'une personne en santé peut être encore plus en santé c'est encore un meilleur marché.

La logique et le mécanisme ne suffisent pas. Le monde est compliqué, souvent imprévisible. On croit savoir de nombreuses choses en physiopathologie mais ce sont des simplifications souvent partiellement correctes. Si on mesure qu'il y a moins de morts avec un médicament, cela ne change pas si on change l'explication du mécanisme derrière, il y aura quand même moins de morts. Les mécanismes restent utiles pour générer des idées, des directions, mais peu prédictifs.

Bon exemple des assurances qui ne paient certains traitements que si le client participe à un essai clinique pour vérifier l'efficacité de celui-ci. Suggestion que tous les patients soient par défaut inclus dans un essai sur une intervention ou un médicament lorsque le bénéfice de ceux proposés n'est pas clair, de manière à pouvoir l'établir plus tard grâce à cette participation, avec possibilité de refuser. Possible financement des études avec un éventuel intermédiaire neutre géré en partie par des patients, qui reçoit l'argent de l'industrie, choisit les priorités, prépare les protocoles des études et finance des groupes de chercheurs indépendants.

La recherche observationnelle a ses utilités mais bien trop souvent celle-ci ne permet pas de contrôler tous les facteurs parasites qui influencent les résultats (connus et inconnus, prévus et imprévus). Au final ces résultats finissent trop souvent contredits. Impossible de tout tester dans toutes les options possibles, ça n'est pas réaliste, mais prioriser certaines pratiques ou interventions et les évaluer devrait être un standard.  Les essais contrôlés randomisés sont un moyen clé (mais pas pour toutes les questions, et parfois non réalisables ou purement inutiles). Avec une bonne coordination, certaines questions en santé auraient des réponses fiables en quelques semaines ou mois à peine.

Toujours des exceptions éventuelles, ex: urgence, cas majeur, situation unique, cas particuliers, absence de temps, absence d'intervention utile connue. Avec le plus possible un patient informé (de ce qu'on sait ou pas), qui peut refuser.

Vinayak et Cifu recommandent de changer la formation médicale (bien sûr en évaluant les effets de toutes ces modifications et de leurs idées) avec un focus sur la relation avec le patient, comment répondre de manière adaptée à ses questions, ses besoins en s'informant de la littérature scientifique. Les détails avancés de physiologie/pathologie viendront plus tard, avec d'abord les maladies fréquentes et en dernier les plus rares.

Problème lorsque l'université est financée par une industrie et que réaliser des études pour celle-ci entraine un bénéfice pour celle-ci, conflits d'intérêts pervers stimulant des pratiques qui ne sont pas bénéfiques pour les patients, difficultés à critiquer les pratiques de son propre hôpital même lorsqu'il réalise des recherches de très mauvaise qualité.

Superbe lecture que j'encouragerais volontiers les professionnels de la santé (surtout infirmiers/médecins) à lire au début de leurs études. Plutôt compliqué pour un public sans trop de connaissances médicales / en santé.


[1] Prasad, V. K., & Cifu, A. S. (2015). Ending medical reversal: Improving outcomes, saving lives.

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